Le syndrome du lama furieux.
Rencontre avec un alpaga furieux :
Cela fait bien longtemps que je connais et que j'entends parler du syndrome du lama furieux, mais je n'avais jamais vu un individu qui en était atteint, jusqu'à samedi dernier...
Depuis quelques temps je suis en contact téléphonique avec une personne, que nous nommerons ici Mr X, qui cherchait des conseils sur les alpagas.
Il y a 2 ans et demi, Mr X a acheté 2 petits mâles de 6 mois. Il voulait essayer de les dresser afin de leur faire réaliser des sortes de numéros de spectacle. Les 2 alpagas étaient bien gentils, plus particulièrement l'un d'entre eux qui n'était vraiment pas farouche. Il les caressait beaucoup, il jouait avec, il les laissait rentrer dans la maison, et tout le monde était content, et tout le monde s'entendait à merveille...
Et puis les mois se sont écoulés, et les alpagas ont grandi.
Un jour, le jeune alpaga le moins téméraire est tombé malade et malheureusement est mort.
Mr X fut bien triste et acheta une femelle gestante pour que son jeune alpaga mâle, qui lui restait, ne se retrouve pas seul.
Ce dernier avait alors un peu plus de 2 ans.
Quand Mr X m'a appelé la première fois, il y a 5 mois, son alpaga devenait de moins en moins commode. Par exemple, quand Mr X s'approchait de la porte de l'enclos, celui-ci s'avançait rapidement devant lui et se dressait sur ses postérieures. Si Mr X parvenait à lui accrocher la longe au licol, son alpaga, ainsi attaché, redevenait plus tranquille.
Malheureusement son comportement s'est rapidement confirmé et l'alpaga est devenu incontrôlable pour Mr X.
Aujourd'hui il ne peut même plus rentrer dans l'enclos, son alpaga le charge et lui crache directement dessus. Il va avoir 3 ans, il est sexuellement mature et se montre comme un mâle dominant qui ne respecte plus du tout son propriétaire.
Un souci supplémentaire pour Mr X, c'est que sa femelle alpaga, qui devrait mettre bas prochainement, se trouve dans la même parcelle que son mâle. Il ne sait plus quoi faire et me demande de l'aide. Je lui propose que je vienne voir son spécimen.
J'espère que ce dernier ne se comportera pas avec moi comme avec son propriétaire. Je me dis qu'il y a peut-être une chance pour qu'il me respecte puisqu'il ne me connaît pas. Il sera peut-être plus méfiant, moins "rentre-dedans". Je pense qu'il va voir que je n'ai pas peur de lui, et j'espère que cela va changer quelque chose.
En fait c'est simple : soit cet alpaga considère son propriétaire ( et uniquement lui ) comme l'un des siens, et il le rejette, comme ferait tout mâle dominant face à un congénère. Soit il ne fait aucune distinction entre aucun des bipèdes humains et ceux de son espèce, et dans ce cas là : moi, Mr X ou un autre, ce sera le même résultat...
Je suis donc arrivé chez Mr X samedi matin. Je prends une longe et je demande à Mr X de rester à l'écart. Je m'avance vers la porte de l'enclos et je m'adresse à notre alpaga en disant un truc du genre : -Alors, salut le petit paga, c'est toi que je viens voir... Là, il bondit sur la porte, se dresse sur ses pattes postérieures et fait quelques pas en équilibre en me faisant face. La clôture monte juqu'à 2 mètres, la tête de notre alpaga est à son niveau. Il est claque un peu de la langue en signe d'hostilité, et puis il s'écarte.
Je rentre dans le parc, je me retourne pour refermer la porte derrière moi - j'ai un peu de mal parce que celle-ci est mal fichue - et paf, je me fais brutalement tamponné par l'alpaga... Ok ! Il va y avoir du sport.
Je le vois s'éloigner et revenir à la charge. A 3 mètres de moi, il se dresse et veut de nouveau me rentrer dedans, de tout son buste. On se choque. Il y a impact mais je ne parviens pas à l'agripper. Je gueule un coup et j'avance sur lui. Il ne bouge plus. -Là, mon gars. Là, tout doux, tout doux... Il repart, fait un tour et me charge à nouveau. Cette fois-ci, je le tiens par le cou, j'essaye de lui attraper les oreilles. Il crie, il crache, il se débat, il rue, je tiens bon, je ne lâche pas prise et je parviens à accrocher le mousqueton à son licol. Rapidement, il me parait évident que si je lui laisse du mou il veut me faire face pour me cracher dessus, il veut ruer pour s'échapper ou me piétiner, ou même il cherche à me mordre. Il n'arrête pas de cracher et de crier. J'essaye de calmer le jeu. J'affirme comme je peux ma supériorité physique grâce à ma prise de main sur la longe, sous son menton.
Je veux lui montrer que je ne vais pas lui faire du mal, mais que je ne consentirai pas à lui laisser faire ce qu'il veut. Pour qu'il se calme je lui fais faire quelques pas. Il n'accepte rien, il se débat, il crache et ne se rend pas. Nous luttons... Parfois je m'essouffle, mais je résiste. Je dois faire preuve d'une grande vigilance pour qu'il ne m'échappe pas. Il ne faut surtout pas le lâcher : immédiatement il me le ferait payer. Je garde le dessus. Je le maîtrise tant bien que mal. J'essaye tout : la douceur : je lui parle dans l'oreille. La force : je le contrains à se coucher. L'indifférence : je siffle en regardant le ciel, comme si de rien n'était... Mais rien n'y fait, je commence à avoir l'impression que ce duel ne sert à rien...
Au bout d'une demie-heure, je décide d'arrêter la confrontation. C'est évident : cet alpaga ne cédera pas, il est bel et bien furieux, furieux contre moi, furieux contre tous.
Nous décidons de sortir du parc la femelle gestante, pour la mettre ailleurs, où Mr X pourra la surveiller et la soigner.
Lorsque je détache l'alpaga pour le libérer, il fait juste un petit tour et fait encore mine de me charger. Je le repousse avec la longe. Je referme la porte de l'enclos. Il se jette dessus et se dresse à nouveau. Je le gifle avec la longe et il se recule.
Je suis déçu et triste. C'est un bel alpaga, il est bi-colore marron et blanc, il a fier allure, mais voilà, il est complètement furieux.
J'avais dit à Mr X qu'éventuellement, selon le degré de son agressivité, je prendrai son alpaga chez moi. Mais face à un tel énergumène je refuse cette possibilité. Je suis désolé pour Mr X, et je suis encore plus navré pour l'alpaga.
Le syndrome du lama furieux arrive lorsque petit, le lama ou l'alpaga, reçoit de la part de son éleveur trop d'affection, trop de contact. Ce sera souvent le cas pour des jeunes élevés au biberon, et que l'on se met à dorloter un peu trop. Je pense que cela peut arriver autant chez les femelles que chez les mâles, mais les dégâts sont plus importants, et quasiment ingérables, chez les mâles qui seront encore plus agressifs à partir de 3 ans.
Tout porte à croire que l'alpaga ou le lama atteint du syndrome nous voit comme l'un des siens. Un mâle étalon, qui est dans un lot de femelles, se confronte et rejette tout autre mâle qui s'approche; les combats peuvent être assez violents même !
Dans cette histoire, on peut se demander si les causes de ce comportement furieux, chez l'alpaga de Mr X, dépendent de l'attitude de Mr X ou bien de celle de son premier propriétaire, durant la période de la naissance jusqu'au sevrage.
Un alpaga normal ne vient pas sur vous en courant. Un alpaga normal ne cherche pas le contact, ne vous fait pas les poches, ne se frotte pas à vous non plus. Naturellement les petits camélidés restent toujours un peu distants. Rien à voir avec une chèvre par exemple. Un alpaga est un alpaga, un chien est un chien, un chat est un chat.
Généralement, c'est au sevrage ( vers 6 ou 7 mois ) que les éleveurs vont manipuler les jeunes alpagas ou lamas qui ont été séparés de leur mère. Le dressage, ou l'éducation, à la longe n'est pas difficile mais demande de la patience et d'agir progressivement. En une semaine, à raison de 3 séances par jour, le jeune camélidé saura marcher au licol et acceptera de nous suivre bien docilement. Pendant cette période nous n'hésitons pas à le caresser, à le toucher partout - oreilles, bas ventre, queue, pattes, pieds... afin de le désensibiliser. Nous cherchons à instaurer une certaine relation de confiance avec lui, et de respect. Il semblerait que durant cette période d'éducation, on puisse le "chouchouter" sans craindre le syndrome du lama furieux. En outre, les alpagas qui ne passent pas par cet apprentissage resteront toujours un peu trop sauvages, un peu trop fuyants. Comme pour toutes choses il faut trouver le juste équilibre, et connaître la bonne méthode.
Mr X ne peut pas garder son alpaga. Alors quoi faire ? Je n'ai pas de solution facile à son problème. Je lui dis qu'au mieux il faudrait trouver un éleveur qui accepte d'essayer de l'intégrer dans un lot de mâles bien séparé. Pour ma part, je n'ai pas les moyens de le faire, mes alpagas mâles sont castrés et rejoignent de temps à autre le troupeau de femelles.
Alors si vous lisez cet article et êtes intéressés, ou si vous avez une piste ou un commentaire, un témoignage, n'hésitez surtout pas à nous les communiquer.
Je tiens à préciser, que selon moi, Mr X n' a rien à se reprocher, et si j'ai écrit cet article c'est pour que cette fâcheuse expérience profite à d'autres.